L’intelligence relationnelle pour faire collégialité démocratique

François Silva - 29 juin 2021

Depuis le 2 juillet dernier, il est interdit en France de donner une fessée aux enfants. Et la France n’est que le 55ème pays a adopté une telle mesure. Mais en quoi cette question concerne l’entreprise ????? Il s’agit, en fait, la remise en question de l’autorité du chef avec une nouvelle notion apparait : une collégialité qui s’appuie sur un dialogue et des relations démocratiques dans l’entreprise : la collégialité démocratique. Je vais vous expliquer cela.

Cette remise en question de l’autorité du père de famille, on la retrouve symboliquement à tous les niveaux de la société. Cette interdiction de la fessée est l’aboutissement d’un long processus de remise en question des relations d’autorité, celle du chef qui avait le pouvoir, tout le pouvoir. C’est la conséquence de la remise en question de la Loi du Père, comme dirait Lacan. Ce Pater familias de la Rome Antique qui avait droit de vie et de mort sur sa maisonnée, c’est à dire sa femme, ses enfants et ses esclaves.

Dans le couple, la notion de puissance paternelle disparait en France il y a 40 ans pour être remplacée par l’autorité parentale. C’est ainsi qu’émergent dans le couple de nouvelles relations qui correspondent à un dialogue entre égaux. Ainsi, est remis en question le pouvoir de ce chef de famille qui décidait. Mais qu’en est il dans l’entreprise. Ce chef d’entreprise, ce patron qui dirige et doit être obéi. Il est maitre chez lui. Silence dans les rangs, une seule parole, celle du chef. Dans l’entreprise, c’est le représentant du détenteur de l’autorité du chef d’entreprise, souvent plus petit chef que chef, c’est le manager ou le contremaitre. Mais pourquoi faire évoluer cette situation aussi dans l’entreprise : nous sommes passé en 50 ans de moins de 10% de bachelier en entreprise à plus de 50 % et ce n’est pas fini. Les grandes entreprises ont évolué avec souvent plus de 40 à 50 % de cadres qui ne sont pas managers. Mais des travailleurs de symbolique du savoir.

Et puis enfin, les technologies numériques qui participent fortement aux transformations sociales, en particulier dans le monde du travail. Ces technologies créent de la transversalité dans les relations hiérarchiques et de la vitesse. Elles génèrent aussi des flots de data qui constituent une gigantesque infobésité à laquelle chacun est confronté receveur d’information comme émetteur. Ces technologies constituent un formidable outil de communication entre les personnes, mais qui souvent se réduit à des échanges d’informations. Cette infobésité ne génère pas plus de compréhension et de relations apaisées mais au contraire un isolement et une incompréhension de l’Autre. La relation, ce n’est pas tant d’avoir et d’échanger des informations avec Autrui ou le reste du monde mais c’est surtout mieux le comprendre, d’améliorer et/ou de renforcer les liens entre les personnes basés sur la coopération et l’empathie qui correspond à une nouvelle posture pour entretenir une relation de compréhension d’Autrui, de ce qu’il ressent. D’où le problème de ce numérique qui développe une société fortement communicante mais faiblement rencontrante. (Ph. Breton). Les technologies ainsi utilisées correspondent à un management traditionnel à la française « du petit chef » qui doit se transformer car un éditorial du Monde de décembre dernier indique que la crise des « Gilets jaunes correspondrait à une colère contre le management à la française » (mettre un slide de l’article). L’article posait la question des conséquences d’une trop grande organisation taylorienne des entreprises françaises qui ont un travail très hiérarchisé, à la différence d’organisations apprenantes scandinaves ». En effet, le management à la française continue d’être très marqué par les méthodes du type « command and control » qui consistent à donner des ordres – sans forcément les motiver –, et à en contrôler l’exécution. « En France, on a presque quatre fois moins de chances de travailler dans une entreprise “hautement impliquante” qu’au Danemark que ce soit sur la façon d’exécuter le travail ou de l’organiser ». Car être impliqué, cela signifie échanger, dialoguer. Concrètement, c’est s’expliquer, se parler entre adultes pour échanger des arguments, se parler c’est s’écouter réciproquement, se parler c’est comprendre les arguments de l’autre. Pas ces échanges ont se comprend. C’est cela l’intelligence relationnelle, intellegere : mieux comprendre grâce à la relation avec autrui, une relation entre égaux. C’est dans ce cadre que se place la collégialité, principe démocratique, qui aujourd’hui émerge dans le couple tout autant que dans la société. Et dans l’entreprise, les gens ne veulent plus être dominés, ils veulent pouvoir parler, être écoutés, et pas seulement parler mais décider… Et c’est une aspiration profonde des jeunes qui souhaitent des relations d’autonomie, de responsabilisation et de motivation.

Le management au quotidien d’une entreprise fonctionne comme une suite de micro décisions. Et c’est là où l’intelligence relationnelle prend tout son sens. En effet, jusqu’à présent, c’est le chef d’équipe, le contremaitre, le manager qui décidait le planning, le recrutement, le plan de formation, la maintenance, les relations avec les sous-traitants, le plan de charge, le suivi des résultats, le suivi de nouveaux projets, les relations avec les gros clients, l’attribution des primes, … Mais avec cette collégialité, ce sont les membres de l’équipe qui s’en occupent, je veux dire par là que chacun va prendre une ou plusieurs de ces activités et les gérer pour l’équipe, en tenant au courant les membres de l’équipe dans des réunions régulières (hebdomadaires souvent). Ainsi, les personnes sont impliquées et acteurs dans le fonctionnement quotidien de leur équipe. Les équipes fonctionnent alors avec une relation hiérarchique complétement différente : équipe traditionnelle relation verticale, l’équipe collégiale : le cercle. Les décisions deviennent collégiales et nécessitent en amont des modes de discussion.

Tous ces changements s’inscrivent dans des mutations historiques plus larges vers un nouvel ordre relationnel « démocratique » entre les humains. C’est ce que l’on appelle un changement de paradigme que certains qualifient de postmoderne (Cf. Maffesoli). Entreprise et famille même combat. Nous devons élaborer de nouvelles grilles de lecture tout comme nos modes opératoires pour appréhender ces nouveaux questionnements.

La démocratie dans l’entreprise ne peut exister que si l’on développe des postures d’intelligence relationnelle à partir de la remise en question du pouvoir d’un chef qui décide. C’est sur cette base que les personnes entrent dans une relation entre pairs, ce qui signifie des pratiques relationnelles différentes. Cela nécessite une remise en question des EGOs de chacun. Car malgré tout dans le terme de démocratie il y a cratos = le pouvoir. Ce qui signifie la fragilité de cette collégialité car si la personne est centrée sur son moi, elle va chercher à s’approprier par narcissisme le pouvoir. C’est en quoi chacun doit faire un travail sur lui afin de dépasser son moi, je dirai son petit moi pour aller vers les autres, en se décentrant vers Autrui afin de passer du moi au Soi. C’est cette phase de déconstruction/reconstruction que l’organisation doit enclencher. Mais à la base, c’est chacun, manager comme salarié, qui doit construire des relations différentes et de qualité avec Autrui et d’abord avec lui-même. C’est cela l’intelligence relationnelle. Comment construire ces relations nouvelles ?

D’où une question primordiale : être dans la relation qui est d’abord savoir écouter l’autre et cet apprentissage modifie la relation à Autrui. Mais nous n’avons pas eu d’apprentissage à la relation à Autrui”. En effet, la reconnaissance mutuelle, basée sur l’écoute d’Autrui nécessite une obligation du décentrement, notion développée par l’anthropologie et la psychologie. Il est nécessaire que chacun apprenne à prendre du recul par lui-même en s’appuyant sur un certain nombre de techniques et de méthodes. Chacun doit comprendre sa carte mentale. C’est à cette condition que l’on peut développer un relationnel de qualité avec un minimum d’authenticité. Pour écouter l’autre c’est écouter les émotions de l’autre (empathie) tout en écoutant les siennes. Et comme nous ne l’avons pas appris à l’école et/ou en famille, c’est dans le monde professionnel qu’il faut l’apprendre. Tout cela s’apprend ou plutôt on doit désapprendre notre culture occidentale moderne qui est construite aujourd’hui sur :

  • le pouvoir du chef,
  • l’individu centré sur lui-même, l’EGO.

Diverses démarches permettent aux personnes d’apprendre ces nouvelles postures de recentrement sur son soi pour être pour que chacun soit en situation d’être en relation à la fois avec lui-même et avec les autres. L’entreprise permet souvent d’acquérir des postures nouvelles relationnelles à travers des techniques telles que l’AT, PNL, médiation, écoute active et empathique, techniques de communication non-violente et non-verbale, Gestalt-thérapie, psychologie humaniste, approche centrée sur la personne, techniques de négociation raisonnée, Co – développement et bien d’autres. Entrant ainsi dans un apprentissage de l’écoute mutuelle, une culture du respect d’Autrui on peut alors développer des relations entre adulte, entre égaux tant dans le couple que dans l’entreprise. Cela constitue l’intelligence relationnelle qui est la prise en compte des dimensions émotionnelles dont les notions d’empathie sont essentielles qui permet ainsi d’être dans une posture centrée sur le Soi. Chacun doit manifester un respect à l’autre dont on attend de lui la même reconnaissance réciproque. Chacun doit se décentrer sur la relation et non plus sur son moi. En effet, la relation est centrale car Autrui constitue un apport essentiel, elle permet l’intelligence collective mais il faut l’humilité de demande d’aide et donc de reconnaitre une vulnérabilité.

Avec ces dispositifs, la communication relationnelle entre les personnes peut ainsi s’effectuer en évacuant le maximum de signes pouvant potentiellement « polluer » la relation interpersonnelle. Ces démarches permettent de développer une écouteactive qui est aussi de l’écoute empathique assortie d’une volonté de vérifier que l’on comprend ce que l’autre a dit de façon à lui indiquer que nous avons bien saisi ses sentiments. Cela nécessite d’accepter d’être régulé, c’est-à-dire se remettre en question : cette capacité d’humilité face à soi et aux autres : une vigilance intérieure dans laquelle Autrui à un rôle essentiel de vigie extérieure. Une notion centrale : le Care, le soin que l’on doit porter aux autres comme à soi-même : don et contre don. Cela constitue une des conditions indispensables à la mise en œuvre d’un relationnel « démocratique » en entreprise. Mais, la démocratie est un exercice très subtil et extrêmement fragile nécessitant une attention constante aux comportements de chacun (risques de dérapages égotiques) et au non-respect des règles.

La collégialité pour quelle fonctionne nécessite des postures d’intelligence relationnelle et de la régulation. Les règles : un cadre est un garde-fou permettant d’éviter les dérapages d’Ego ou de pouvoir toujours potentiellement présents. Ces règles permettent à la collégialité d’avoir des modes de discussion et de décision démocratiques. Ces règles correspondent à un certain nombre de principes qui doivent être respectées. Elles doivent être acceptées par tous et donc discutés (Cf. les règles monacales). Ne pas les appliquer, baisser la garde et vous régressez en revenant aux relations précédentes, celles du rapport de force et du retour de l’EGO. Mais cela peut aussi sombrer dans une réunionite bureaucratique, perte de temps, d’énergie et de sens C’est la fragilité de toutes les relations dans l’entreprise démocratique comme dans la société. :

  • Une régularité de réunion
  • Un nombre de personnes limité,
  • Tout comme la durée des réunions,
  • Limitation du temps de parole de chacun,
  • Modes relationnels non agressifs
  • Préparation de la réunion en amont,
  • Un tiers qui peut être un collègue mais aussi une tierce personne hors de l’équipe, qui sera un régulateur, et donc neutre. Cette personne est garante du cadre (souvent tournant et formé mais s’il y a conflit extérieur à l’équipe), qui peut suivant les situations être animateur, régulateur voire médiateur sans oublier la posture bienveillante de chacun. Il veille à ce que personne ne juge ni les uns ni les autres, il s’assure également du respect du cadre comme de la bonne posture des participants (bienveillance, silence au moment opportun, écoute réciproque…) Cette posture n’est pas naturelle dans notre culture occidentale qui nous pousse à être dans le jugement d’autrui.

Soyons concret, prenons l’exemple des ateliers de co-développement, les participants commencent à se parler différemment qui ne soit plus sous forme de jugement. Ces ateliers permettent d’apprendre à écouter l’Autre, apprendre à lâcher prise, à demander de l’aide tout autant que de donner de l’aide à Autrui. Alternativement chacun se centre sur Autrui. Entre 6 et 8 personnes se réunissent toutes les 4 à 6 semaines pendant 2 à 3 heures avec un animateur qui va réguler ces réunions. Ce qui important c’est la prise de conscience par les participants vont commencer à se parler différemment sans induire un quelconque jugement. Ils sont ainsi dans une posture nouvelle relationnelle d’où la nécessité qu’ils ont de désapprendre (ce qui nécessite le miroir de l’Autre). L’écoute c’est aussi être écouté (la notion de réciprocité). Ces situations permettent de modifier leur relation en allant vers plus d’altérité et de bienveillance. C’est ainsi que la parole de chacun se libère permettant aux débats de se déployer.

Ainsi, avec un tel socle (collégialité et régulation), l’entreprise peut développer dans chaque équipe un certain nombre de pratiques dont la base est :

  • L’ajustement au quotidien, faire le point, se dire les petits pbs rencontrés,
  • Une régulation du fonctionnement de l’équipe de type hebdomadaire entre ses membres par rapport aux responsabilités dont chacun est investi dans l’équipe : le planning, le recrutement, le plan de formation, la maintenance, ;; etc…Sans chef d’équipe, de contremaitre ou de manager, les membres de l’équipe en réfèrent aux autres ce qui génère souvent des débats. Les réunions de régulation servent à cela.

A cela s’ajoute, suivant les circonstances, les activités, le secteur dans lequel vous travaillez, on met en place des groupes, ateliers, communautés ad hoc s’appuyant sur des logiques de don et contre don

  • Des Groupes de parole permettent de dire et partager ses difficultés
  • Des Ateliers ou communautés pour échanger ses pratiques, ses expériences,
  • Des Communautés virtuelles de partage de savoir/connaissance, d’apprentissage

La mise en place de ces pratiques collégiales est un processus tant long que fragile. Mais cela nécessite de mettre en place un certain nombre de dispositifs pour qu’existe la collégialité. Ainsi, des relations entre pair s’appuient sur une qualité de relation que l’on appelle intelligence relationnelle, ce qui nécessite une attention de tous les instants. Avec une exigence dans les relations entre pair qui nécessitent empathie et bienveillance. Mais aussi l’implication de tous à ce bien commun qui s’appelle l’entreprise. La Régulation Collégiale en est le cadre. Ainsi se croisent l’horizontalité et la verticalité.

Tout cela s’apprend, se transmet, s’accompagne. A vous maintenant de le mettre en place dans vos organisations. Et à vous de l’appliquer à vous-même dans vos relations.

Repenser le management

Pour une régulation collégiale des communautés de travail

François SILVA, Arnaud LACAN

Couverture du livre

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